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Le traumatisme psychique de guerre chez les militaires

3e partie : la réhabilitation psychosociale

 

Comme nous l’avons vu dans la 2e partie de cette série d’articles, malgré les différentes thérapies validées pour le trouble de stress post-traumatique (TSPT), la chronicisation des symptômes des traumatismes psychiques de guerre est fréquente. Dès lors, est-il possible de mener une existence épanouissante malgré les effets du TSPT ? C’est ce que propose la démarche de réhabilitation psychosociale.

 

La réhabilitation psycho-sociale

Commençons par définir ce concept. « La réhabilitation regroupe l’ensemble des actions mises en œuvre auprès des personnes souffrant de troubles psychiques pour favoriser leur autonomie et leur indépendance dans la communauté. […] La finalité commune de la réhabilitation est l’amélioration du fonctionnement et l’augmentation des possibilités d’action des individus dans des environnements spécifiques » (Franck, 2016, p.3-4).

La philosophie de la réhabilitation s’inscrit dans une vision salutogénique du rétablissement. Il ne s’agit pas de réduire ni de supprimer les symptômes sur la base des critères de définition de la pathologie (vision pathogénique). L’objectif est de maximiser le bien-être du patient en développant ses ressources émotionnelles, sociales, cognitives… afin de l’aider à vivre au mieux avec sa pathologie (Belrose & Trousselard, 2020).

Ainsi, dans un premier temps, iI convient de déterminer le retentissement fonctionnel du TSPT dans la vie du militaire qui en souffre.

 

Retentissements fonctionnels du TSPT

Rodriguez et al. (2012) proposent un inventaire des retentissements fonctionnels du TSPT selon les domaines de vie.

Les relations familiales

L’altération des relations de couple se retrouve au niveau :

  • De la communication, rendue difficile en raison des conduites d’évitement, du détachement d’autrui ou encore de l’irritabilité.
  • Des activités de couple, entravées par l’anhédonie ou l’hypervigilance.
  • De la baisse de libido.

L’altération des relations parentales se manifeste par :

  • Une perte d’intérêt et d’implication dans l’éducation et dans la vie des enfants,
  • Une perte de contrôle émotionnel dans les interactions, ce qui peut conduire à des violences intra-familiales.

Les relations sociales

L’altération des relations amicales provient de difficultés à :

  • Partager pensées et sentiments qui font l’objet d’évitement,
  • Donner et recevoir du soutien émotionnel,
  • Participer à des débats, notamment en raison de l’irritabilité,
  • Faire de nouvelles rencontres en raison de l’hypervigilance et d’une certaine défiance vis-à-vis d’autrui.

Le domaine des loisirs peut être impacté par :

  • L’anhédonie, conduisant à une absence d’activités,
  • Le détachement d’autrui qui amène le militaire à privilégier les activités solitaires.

Le caporal-chef Eric, du Collectif « Debout Marsouins ! » (2016), blessé à Sarajevo en 1995, témoigne :

« Je me renferme de plus en plus. Les activités de cohésion organisées par la compagnie ne suscitent pas mon adhésion. Je ne prends plus plaisir aux séances de sport […]. Plus rien ne me fait vibrer. (p.65)

En soirée, il ne faut pas compter sur moi pour participer à la bonne ambiance. Je suis effacé, je ne parle que très peu, je n’exprime jamais aucune joie, je ne souris pas. (p.67)

Les échecs amoureux s’accumulent. Je suis trop triste, trop insaisissable, trop replié sur ma douleur, trop égocentré pour garder une fille près de moi. D’ailleurs, est-ce que j’ai vraiment envie de bâtir ou de partager un avenir avec qui que ce soit ? Je ne sais pas vraiment moi-même. (p.67)

J’ai des difficultés à m’endormir. La nuit, les cauchemars me sortent brutalement de mon sommeil. […] Faire les courses est une épreuve. Je ne supporte plus la foule. Je ne vais plus au cinéma. Je ne peux plus assister à un feu d’artifice, j’ai peur. (p.67)

Je suis mal. Il me faut une porte de sortie alors je surinvestis dans le sport. Je ne vis que pour ça, c’est ma soupape de sécurité. C’est la martingale qui qui me permet de stimuler en moi « l’envie d’avoir envie », comme le chante Johnny… (p.67)

Il n’y a de place pour personne dans cette existence ritualisée jusqu’à l’obsession afin de pouvoir échapper à mes angoisses. Aucune femme n’est prête à partager mon mal alors les aventures sans lendemain s’enchaînent. 

Je n’en peux plus, je suis au bout du rouleau. Cela dure depuis dix ans. Dix années que je m’enfonce chaque jour un peu plus, dans savoir ce qu’il m’arrive, sans comprendre ce mal, sans pouvoir mettre de mots sur cette souffrance, sans pouvoir me faire entendre et encore moins me faire comprendre, sans savoir que je suis malade. » (p.67-68)

Les activités professionnelles

Les activités professionnelles peuvent être altérées à plusieurs niveaux :

  • Les performances (productivité, erreurs…), impactées par les troubles de la concentration ou encore les troubles du sommeil,
  • Les interactions avec managers et collègues, rendues difficiles par le détachement d’autrui ou par l’irritabilité,
  • Les risques d’absentéisme, de burn out…

Le niveau de vie

La difficulté voire l’incapacité à occuper un emploi peut être délétère pour le niveau de vie du patient. L’altération de la gestion administrative en raison des difficultés de concentration peut impacter la gestion de la vie courante mais également la constitution des dossiers de demande d’aides évoquées supra. Toute demande de soutien est assortie de honte. Et l’ambivalence entre besoin de reconnaissance et besoin de tourner la page ajoute une complexité supplémentaire.

 

La démarche de réhabilitation

Pour s’engager dans une démarche de réhabilitation, il convient dans un premier temps, pour le patient, de définir son projet de vie (familiale, professionnelle…). Vient ensuite une phase d’évaluation des ressources et compétences existantes et des déficits à dépasser pour atteindre ce projet de vie. Cette étape permet de déterminer les ressources et compétences à développer.

La démarche de réhabilitation s’appuie sur plusieurs outils visant à aider le patient à développer ses ressources et compétences :

  • La psychoéducation sur la pathologie, sur ses impacts et sur les méthodes de gestion des symptômes (traitements…). Cette démarche de psychoéducation peut être formalisée dans un programme d’éducation thérapeutique du patient.
  • Les interventions de remédiation cognitives.
  • Les entraînements aux compétences sociales. (Franck, 2016)

L’alternance de séances individuelles et de séances en groupe s’avère particulièrement intéressante dans la démarche de réhabilitation. En effet, elle permet un travail sur les objectifs propres aux patients tout en offrant un espace sécure de connexion sociale, cette dernière étant particulièrement mise à mal dans le TSPT. 

Ainsi, le cadre groupal permet :

  • La sortie de l’isolement (Gagnon-Corbeil et al., 2019), avec la rencontre d’autres personnes souffrant de TSPT et partageant la même culture militaire,
  • Le réapprentissage des compétences sociales et le développement des compétences communicationnelles (Yalom et Leszcz, 2005),
  • L’entraide avec notamment le partage d’informations (sur les ressources en termes de reconstruction, sur les démarches administratives…) dont une vertu est le sentiment d’utilité sociale,
  • La restauration de l’estime de soi (Yalom et Leszcz, 2005),
  • L’apprentissage par imitation (Yalom et Leszcz, 2005).

Dans Ce qu’il reste de moi…, Aurélien Daussy (2022), blessé au Mali en 2016, témoigne de l’intérêt du cadre groupal :

« Je retrouve mes camarades du groupe de parole […]. Déjà neuf semaines que nous nous voyons chaque lundi pour remuer la soupe et exprimer nos douleurs. Si en ce qui me concerne, j’étais demandeur de ces séances, pour les autres, c’était plus compliqué. Nous avons tous notre personnalité, notre parcours, nos préjugés. Mais ce qu’il en ressort est plutôt positif. Nous sommes parvenus à créer un lien qui, au fil des semaines, a fait naître un sentiment de confiance, pour certains, perdu depuis longtemps. C’est un énorme pas en avant. Cela veut dire qu’ils sont de nouveau prêts à s’ouvrir aux autres. C’est le début de la resocialisation.

Nous avons pu partager nos petits trucs et astuces qui nous aident au quotidien à vivre avec la blessure, et maintenant, nous sommes prêts à transmettre. L’idée est donc de mettre en place un nouveau groupe de parole sur lequel nous pourrions nous greffer en tant que parrains. Aider les autres pour s’aider soi-même. Créer du lien pour combattre la solitude. Se sentir utile pour effacer la honte. Franchir des obstacles pour retrouver une certaine fierté. Voilà les motivations de chacun, et la vocation de ce groupe. (p.263)

Ainsi, la notion de structures de soins dédiées aux militaires souffrant de TSPT nous semble particulièrement intéressante pour cette population habituée à la vie en groupe et dotée d’une culture spécifique très forte.

 

Institutions de réhabilitation psychosociale dédiées aux militaires souffrant de TSPT

L’Institution Nationale des Invalides a ouvert en 2023 une unité de réhabilitation psychotraumatique dédiée aux militaires et anciens militaires souffrant de TSPT. Cette unité propose un programme médicalisé de réhabilitation tel que définie supra, mis en œuvre par une équipe pluridisciplinaire (psychiatre, professionnels paramédicaux et psychologues).

Les Maisons ATHOS sont un lieu de réhabilitation militaro-sociale. Il s’agit d’établissements de jour non médicalisés avec capacités d’hébergement au profit des soldats, de tous grades et de toutes les armées, souffrant de TSPT en lien avec le service. Le programme y vise une reprise d’activités et un redéveloppement de l’autonomie en vue d’une transition professionnelle (Knecht, 2023a et 2023b).

 

Des ressources complémentaires pour le rétablissement

Dans le cadre de sa vision holistique du rétablissement, la réhabilitation s’intéresse à toutes les ressources susceptibles d’améliorer la qualité de vie des militaires souffrant de TSPT. Nous proposons d’aborder ici la pair-aidance, le sport et l’activité physique ainsi que le rôle que peuvent jouer les animaux dans cette démarche thérapeutique. 

La pair-aidance

La pair-aidance consiste en un modèle dans lequel un patient en rétablissement apporte un soutien émotionnel ou informationnel à d’autres patients souffrant du même trouble. Aux Etats-Unis, la pair-aidance est particulièrement encouragée entre vétérans souffrant de TSPT. Cette pratique a démontré un certain nombre de bénéfices : soutien social, diminution de l’auto-stigmatisation, motivation à l’engagement en psychothérapie, meilleure adhésion aux traitements médicamenteux… (Hundt et al., 2015).

Le sport et l’activité physique

Le sport et l’activité physique chez les vétérans souffrant de TSPT ont été identifiés comme des facteurs : 

  • d’amélioration de la qualité de vie et du bien-être à la fois psychologique et social (Caddick & Smith, 2014) ;
  • de diminution des symptômes de TSPT (Belrose et al., 2021 ; Caddick & Smith, 2014) ;
  • d’évolution positive dans l’identité et la représentation de Soi (Belrose et al., 2021 ; Caddick & Smith, 2014).

Néanmoins, comme en tout, l’excès nuit et il convient de veiller à ce que le sport ne devienne pas une addiction.

Le rôle des animaux

L’implication d’animaux dans la démarche de réhabilitation peut intervenir à plusieurs niveaux et sous différentes formes.

En premier lieu, la médiation animale peut apporter un complément à l’approche thérapeutique. Leconstant & Larrieu (2024) relatent que les thérapies assistées par les animaux de compagnie (chiens ou chats essentiellement) et les thérapies assistées par les chevaux peuvent réduire la symptomatologie du TSPT. En effet, l’animal facilite l’émergence d’un sentiment de sécurité chez les patients et agit positivement sur la régulation émotionnelle.

En second lieu, les chiens d’assistance apparaissent de plus en plus comme une ressource intéressante pour la réhabilitation. Spécialement entraînés à réagir aux symptômes du TSPT, ils assistent les vétérans en les réveillant lorsqu’ils font des cauchemars, en surveillant leurs arrières dans les lieux publics… L’étude de O'haire & Rodriguez (2018) a montré plusieurs effets chez les vétérans suivant une psychothérapie et dotés d’un chien d’assistance :

  • une intensification dans la diminution des symptômes du TSPT,
  • une amélioration de la qualité de vie psychique, du bien-être psychologique et des interactions sociales.

 

Pour conclure

De même que chaque individu est unique, chaque traumatisme psychique de guerre a ses particularités en fonction des circonstances à l’origine du trauma et des caractéristiques du sujet qui en est porteur. Les thérapies du psychotraumatisme, évoquées dans la 2e partie de cette série d’articles, et la réhabilitation psychosociale offrent des lignes de traitement complémentaires. De même, certains dispositifs d’accompagnement (pair-aidance, reconstruction par le sport, chiens d’assistance…) peuvent compléter et renforcer les approches thérapeutiques, sans pour autant s’y substituer. Le choix des dispositifs et leur combinaison dans le temps sont propres à chaque sujet dans sa trajectoire de rétablissement.

Cependant, le traumatisme psychique de guerre ne saurait être réduit exclusivement à une perspective individuelle. En appréhender la dimension sociologique pourrait apporter des pistes de prévention. C’est l’objet de l’article Traumatisme psychique de guerre chez les militaires – 4e partie : une approche sociologique.

 

 

Références

Belrose, C., Duffaud, A., Levy, D., Beji, A., Jacob, S., Lorion, G., Martin-Krumm, C. & Trousselard, M. (2021). Self-representations of military veterans suffering from chronic post-traumatic stress disorder: the role of sport. Frontiers in psychiatry12, 766515.

Belrose, C. & Trousselard, M. (2020). Approches théoriques du rétablissement dans le trouble de stress post-traumatique. Dans C. Cartier et A. Ciccone (dir.), Traumatismes de guerre et stress post-traumatique, 93-113. L’Harmattan.

Caddick, N., & Smith, B. (2014). The impact of sport and physical activity on the well-being of combat veterans: A systematic review. Psychology of sport and exercise15(1), 9-18.

Collectif « Debout Marsouins ! ». (2016). Le soleil se lève sur nos blessures.

Dhaussy, A. (2022). Ce qu’il reste de moi… Nombre 7 éditions

Franck, N. (2016). Outils de la Réhabilitation en Psychiatrie. Pratiques en Faveur du Rétablissement. Elsevier Masson.

Gagnon-Corbeil, J., Dubuc, L., et Depot, C. (2019). Apport complémentaire de la psychothérapie groupale à la psychothérapie individuelle. Revue québécoise de psychologie, 40(2), 205-234. 

Hundt, N.E., Robinson, A., Arney, J., Stanley, M.A., & Cully, J.A. (2015). Veterans' perspectives on benefits and drawbacks of peer support for posttraumatic stress disorder. Military medicine180(8), 851-856.

Leconstant, C. & Larrieu, C. (2024). TSPT et thérapie assistée par l’animal. Dans ABC des psychotraumas (dir.), L’ABC des psychotraumas, 565-570. Ellipses.

O'haire, M. E., & Rodriguez, K. E. (2018). Preliminary efficacy of service dogs as a complementary treatment for posttraumatic stress disorder in military members and veterans. Journal of consulting and clinical psychology86(2), 179.

Rodriguez, P., Holowka, D.W., & Marx, B.P. (2012). Assessment of posttraumatic stress disorder-related functional impairment: a review. Journal of Rehabilitation Research & Development49(5).

Yalom, I.D. and Leszcz, M. (2005). The theory and practice of group psychotherapy. 5th edition. Basic books.

 

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